Qui étaient les véritables propriétaires de l’Hôtel Renaissance ?

hotel Gouïn
Estampe, Archives départementales 37, numéro 8Fi0010

Pendant des décennies, d’Honoré de Balzac aux historiens contemporains, les récits historiques ont mal interprété les sources en proposant des attributions de propriétaires erronées !

Jean Barillet de Xaincoings, Jean Dunois, René Gardette, Victor et Nicolas Gaudin… À qui doit-on la construction de l’Hôtel Renaissance ?

 

 

1.      Une identification erronée depuis le XIXe siècle

Bien que l’identité de l’architecte demeure un mystère, celle du commanditaire de l’Hôtel a quant à elle, fait l’objet de plusieurs interprétations. Dans bien des ouvrages, comme celui de Jean-Georges-Edmond Weelen Notre vieux Tours (1942), on admet que la construction est due à Jean Barillet de Xaincoings (ou Xaincoins) vers 1440, et son embellissement est attribué à René Gardette quelques années plus tard.

Carte postale, Archives départementales 37, numéro 10Fi261-0311, légende erronée

Cette hypothèse est apparue au XIXe siècle comme le précise Samuel Riou (archéologue, Conseil départemental d’Indre-et-Loire) dans son article L’Hôtel Goüin à la charnière du XVIe siècle : nouvelles données archéologiques et généalogiques (bulletin de la Société Archéologique de Touraine, 2018).

Jean Barillet est anobli de Xaincoings en 1446. À Tours, il est receveur des finances pour Charles VII. Il connait une disgrâce en 1450 lorsqu’il est accusé de concussion : « Xaincoings fut enfermé au château de Tours ; condamné à être pendu, comme un autre financier tourangeau, Jacques de Beaune, il aurait certainement tâté du gibet sans la mansuétude du roi qui le gracia mais lui retira son hôtel pour le donner, selon une tradition erronée, à Jean Dunois » (Weelen, 1942). Néanmoins, la construction de l’Hôtel Goüin est postérieure à cet épisode, si bien que cette thèse ne peut être retenue : ni Xaincoings, ni Dunois ne sont les propriétaires de la parcelle.

Cependant, les historiens se sont accordés sur cette interprétation et certains écrivains ont aussi contribué à diffuser cette information à l’instar d’Honoré de Balzac dans sa Comédie humaine.

Honoré de Balzac (1799-1850) célèbre sa Touraine natale à travers de nombreux romans dont certains ont été écrits au château de Saché. C’est le cas de Maître Cornélius (1831) ; pour cette nouvelle, l’écrivain place son intrigue en 1479 au cœur de la ville de Tours : « Beaucoup de rues adjacentes à celle de la Scéellerie, et qui forment aujourd’hui le centre du Tours moderne, étaient déjà construites ; mais les plus beaux hôtels, et notamment celui du trésorier Xancoings [Xaincoings ndlr], maison qui subsiste encore dans la rue du Commerce, étaient situés dans la commune de Châteauneuf. »

Blasons de la façade (crédits : Steven Frémont)

Au tournant du XXe siècle, les auteurs focalisent leur attention sur la famille Gardette car la façade de l’hôtel est ornée de trèfles identiques à ceux représentés sur le blason de cette famille. En fonction des interprétations, c’est René Ier ou René II qui tour à tour aurait fait construire le logis et/ou financé son embellissement.

Faute de recherches approfondies, cette théorie n’a pas été remise en cause pendant plus d’un siècle. Depuis 2013, les données collectées par Samuel Riou permettent de proposer une nouvelle hypothèse, encore incertaine, mais toutefois plus crédible.

2.      Chronologie des propriétaires  : de la Renaissance au XVIIIe siècle

Un acte de vente de l’Hôtel daté de 1621, passé par Maître François Nau (notaire à Tours), nous apprend que les biens vendus dans le contrat avaient été hérités par le Sieur Victor Gardette grâce à la succession de sa défunte mère Jeanne Barguin, épouse de René II Gardette.

Si les Gardette ont effectivement possédé le site, ils n’en deviennent propriétaires qu’à la fin du XVIe siècle, soit une centaine d’années après la construction présumée du monument. Il faut donc remonter l’arbre généalogique jusqu’à cette période pour tenter de retrouver les potentiels bâtisseurs du logis. Cela nous mènerait jusqu’aux grands oncles de Jeanne Barguin, Victor et Nicolas Gaudin, dont le premier aurait fait construire l’hôtel vers 1490, tandis que le second aurait commandité sa façade renaissance vers 1510. Ces hypothèses qui restent à confirmer, se fondent à la fois sur la filiation des autres biens immobiliers de Jeanne Barguin (dont on sait qu’ils lui viennent de Nicolas Gaudin par le biais de son oncle Victor Barguin) et sur l’existence de trèfles sur le blason des ascendants de Nicolas Gaudin (Riou, 2018).

Cour de l’Hôtel Goüin (crédits : Drone of Visuals)

En 1599, Victor Gardette, fils de René Gardette et de Jeanne Barguin, hérite de l’Hôtel Renaissance à la mort de sa mère. Sa veuve, Renée Lasneau, décide de vendre la maison de ville en 1621 ; le nouvel acquéreur est Gabriel Compain, Sieur de la Tortinière, bourgeois et échevin de Tours.

La propriété demeure plusieurs décennies dans la famille Compain mais les héritiers de Gabriel ne la conservent pas pour leur usage personnel. En 1677, le marchand Nicolas Pommier s’installe dans l’une des habitations de la parcelle, d’autres parties sont vendues. Un contrat de vente du 1er septembre 1703 indique que les héritiers de Nicolas Pommier cèdent l’Hôtel au marchand Gilles Douineau (ou Douinot). À sa mort en février 1738, l’Hôtel Renaissance est de nouveau mis en vente. Le nouvel acquéreur n’est autre que Henri-François Goüin (1686-1748), le fondateur de la banque éponyme. Le logis Renaissance devient alors l’Hôtel Goüin. Il reste dans la famille jusqu’en 1925 lorsque Georges Goüin le lègue à la Société Archéologique de Touraine.

L’Hôtel Goüin, un bijou de l’architecture Renaissance

hotel Gouïn
Crédits : Steven Frémont

 

Figure incontournable de notre architecture tourangelle, l’Hôtel Goüin est bâti à la fin du XVe siècle.

De nos jours, au 25 rue du Commerce, seul le bâtiment emblématique de l’architecture Renaissance subsiste en fond de cour.

Lumière sur la chronologie d’une construction unique !

 

1.     De l’Antiquité à la Renaissance : Prémices d’un édifice emblématique

Grâce à son emplacement privilégié, l’histoire de l’Hôtel Goüin débute avec la naissance de la ville de Tours quand le premier empereur romain Auguste fonde Caesarodunum, la colline de César, à la fin du Ier siècle.

Selon Anne-Marie Jouquand (archéologue, INRAP), l’actuel monument est bâti sur les murs des entrepôts romains de la ville antique qui à cette époque, sont en proximité direct avec la rive. Ces vestiges ont été découverts cinq mètres sous notre sol. Malheureusement, la fouille n’a pas permis de révéler l’ampleur architecturale exacte de ces horrea (entrepôts). La parcelle a connu plusieurs remaniements jusqu’à la période qui nous intéresse, en accueillant notamment une maison romane au XIIe siècle.

D’après les analyses de Samuel Riou (archéologue, Conseil départemental d’Indre-et-Loire), il faut distinguer trois grandes phases de réaménagement de la parcelle entre 1490 et 1515.

Premièrement, les bâtiments existants sont rasés jusqu’au sol. L’espace libéré au nord-ouest de la parcelle est alors consacré à la construction d’un nouvel hôtel particulier.

Crédit : Base Mérimée, IA00071274.

Au nord, le bâtiment est doté d’une tour centrale pour accueillir l’escalier. Il devait s’agir de la façade principale, tournée sur l’ancienne rue du Lange et non côté Grand Rue (actuelle rue du Commerce). Au sud, la physionomie de la cour est différente.  Ses dimensions sont deux fois plus petites qu’aujourd’hui puisque deux maisons sont implantées en bordure de rue. Selon une dédicace trouvée dans l’escalier de l’Hôtel au XIXe siècle, cette phase d’aménagements pourrait avoir lieu en 1491.

La deuxième étape de travaux ne concerne que les maisons qui bordent la Grand Rue. Elles sont démolies puis reconstruites à l’identique. L’élévation et la distribution de ces habitations sont connues grâce à un acte de succession de 1599. Il s’agit de très hauts édifices à cinq niveaux.

 

2.     1510 : Une phase de travaux décisive qui modifie le style architectural

Crédit : Base Mérimée (IA00071274), plan vers 1785

La troisième phase de construction a lieu vers 1510. La transformation majeure consiste à inverser les fonctions des élévations nord et sud : la façade principale est désormais au sud, côté Grand Rue et s’embellit d’un somptueux décor.

La rue sur laquelle est maintenant orienté l’Hôtel, constitue un axe emprunté pour les entrées triomphales : « Le parcours d’honneur, celui des entrées royales, comme celle que fit triomphalement Louis XII en 1500 auréolé de gloire après la conquête du Milanais, reste bien la “Grand Rue” qui s’étire au prix de quelques sinuosités de la porte de la Riche à l’ouest jusqu’à la cathédrale à l’est. » (Tours 1500).

L’Hôtel profite alors d’un emplacement extrêmement privilégié dans la ville.

La bascule des façades nécessite quelques aménagements. Un passage de 2m est percé dans les habitations qui bordent la Grand Rue pour permettre l’accès à l’Hôtel en fond de cour. Ces maisons sont détruites bien des siècles plus tard par la famille Goüin qui profite du nouvel espace pour créer un portail monumental de style Néo-Renaissance, encore visible aujourd’hui.

L’ancien premier étage devient un rez-de-chaussée surélevé. Il est alors indispensable d’ajouter un perron, celui-ci donne un aspect monumental à l’Hôtel. Les fondations sont consolidées pour permettre l’implantation de la nouvelle façade richement ornementée. Elle est dotée d’un avant-corps à trois élévations (porche d’entrée, loggia et lucarne), doublé de deux avant-corps latéraux plus étroits mais plus saillants sur la cour également à trois niveaux d’élévations (loggia, petite salle voûtée et toit-terrasse faisant office de balcon). Pourtant dissymétrique, la façade est parfaitement ordonnancée.

Il s’agit d’un concept architectural inédit pour l’époque, certainement inspiré de compositions italiennes comme les palais vénitiens ou d’architectures imaginaires : « On voit en effet des structures de ce type placées devant des palais dans un Triomphe de Titus et de Vespasien de la fin du XVe siècle, dans un décor de théâtre dessiné par Raphaël […] » (Tours 1500). Cependant, la toiture extrêmement pentue, recouverte d’ardoise, est un signe typique de l’architecture française. Dès sa création, cette conception unique a certainement contribué à la renommée du monument.

Crédit : Archives départementales d’Indre-et-Loire. numéro d’inventaire 8Fi0035

La composition de la façade à caractère hybride est tout à fait fidèle aux débuts de l’architecture Renaissance en France. On retrouve cet art de l’ornementation sur plusieurs façades des châteaux de la Loire. On observe la rémanence des éléments gothiques flamboyants (pignons triangulaires et pinacles ornés de crochets et de fleurons, chou frisé, motifs trilobés…) et l’émergence d’un style d’ornements issu de la Renaissance italienne d’inspiration antique (rinceaux, candélabres, frises d’oves et de dards, pilastres cannelés, couronnes et médaillons, corbeilles de fruits, rubans, niches à coquilles, dauphins…) que l’on retrouve dans de nombreux palais vénitiens ou monuments de Florence.

3.     L’hôtel Renaissance devient Hôtel Goüin

L’identité des commanditaires a longtemps fait l’objet d’attributions erronées en admettant Jean Barillet de Xaincoings comme l’illustre propriétaire. Grâce aux recherches actuelles de Samuel Riou, de nouvelles affiliations apparaissent et plusieurs hauts dignitaires semblent plus crédibles tels Victor et Nicolas Gaudin. Les architectes demeurent cependant méconnus. La propriété est passée aux mains des plus riches familles tourangelles (Barguin, Gardette, Compain…) jusqu’à l’installation des Goüin au XVIIIe siècle.

Crédit : S.Frémont

Henri-François Goüin, fondateur de la banque éponyme, est l’heureux acquéreur de l’Hôtel en mars 1738. L’Hôtel Renaissance devient ainsi l’Hôtel Goüin. La famille en reste propriétaire jusqu’en 1925 avant d’en faire don à la Société Archéologique de Touraine qui souhaite y aménager un musée. Le site est ravagé en 1940 quand la ville de Tours s’embrase sous les tirs des armées allemande et française. L’édifice est classé Monument historique en 1941 et renait de ses décombres dans les années cinquante à l’issue d’une reconstruction spectaculaire.

Il fait aujourd’hui partie des monuments du Conseil départemental d’Indre-et-Loire et accueille chaque année des expositions temporaires dédiées à l’art.